Il reçoit dans la grande villa récemment rénovée de la fondation Rambourg. Ce matin là, Shiran Ben Abderazak lutte contre un rhume. Mais il en a vu d'autres sur son champ de bataille préféré : la culture.
Le trentenaire a vécu sa tendre enfance à Tunis. Fils unique d'un père décédé alors qu'il n'a que 12 ans, Shiran ben Abderazak se lance dans les essais politiques dès 16 ans et écrit dans le journal du lycée. Sous la dictature de Ben Ali, sa mère craint des représailles et décide de s'installer en Europe. C'est à Paris que Shiran terminera le lycée et entrera en prépa lettres. Alors qu'il envisageait d'entrer à Sciences po, un professeur lui fait découvrir une nouvelle passion: le théâtre. Shiran se dirige finalement vers la fac de lettres. Il se lance alors dans la mise en scène et profite de son temps libre pour monter une troupe de théâtre amateur.
En 2007, il obtient sa licence et tente d'ouvrir un café théâtre à Tunis. C'est un échec. De retour à Paris, il se lance dans un master de sciences politiques, une autre de ses passions, autour de l' « étrange stabilisation politique en Tunisie » qui lui permet de comprendre que celle-ci n'est qu'apparente. Il finalise ses travaux lorsque la révolution éclate. Il s'engage alors dans la société civile tunisienne. Les premières élections libres, avec la victoire des islamistes, sont pour lui un « couperet ». Retour en France. Il travaille au Nouvel Economiste mais s'y ennuie vite. Il participe à l'édition du livre El-Kasbah- Fragments de révolution, « ouvrage dont je suis assez fier ». Il publie ensuite son propre livre, fait de chroniques, Journal d'une défaite -Comprendre l'échec de la révolution tunisienne.
En 2015, il signe son retour – pour le moment définitif- en Tunisie. La « faute » à « Dar Eyquem ». Shiran Ben Abderazak porte le projet de cette résidence artistique à Hammamet « à une époque où cela ne parle à personne ». Il crée la structure qui accueille sa première résidence en février 2016 avec « Couscous pop » de la marque de vêtements Lyoum.
160 artistes suivront pendant la période où Shiran Ben Abderazak travaille à Dar Eyquem : « La Tunisie souffre d'un problème de mobilité. Il est difficile, pour ses artistes de se déplacer pour suivre les créations contemporaines. L'idée, c'est donc de faire venir les artistes ici. »
Le trentenaire s'implique peu à peu dans la structuration du secteur culturel et fait pression pour la mise en place du programme Europe Créative à Tunis. En avril 2018, il devient CEO de la fondation Rambourg. C'est Olfa Terras, qui avait financé le projet de Dar Eyquem, qui lui propose le poste. Lorsqu'il prend ses fonctions, Shiran accompagne les finitions du centre culturel du Djebel Semmama puis impulse un tournant : « Nous sommes passés d'une structure philanthropique à un appui organisationnel ou opérationnel. » La fondation mise sur l'artisanat et les métiers d'art. Pour cela, elle s'est lancée dans différents projets, dont une carthographie de l'artisanat tunisien. Un projet de résidence, qui mettra en dialogue artisans et designers des deux rives de la Méditerranée, est en cours et devrait donner naissance à une exposition qui sera lancé à Tunis en 2020. De grands noms du design devraient y participer.
Marié depuis un peu plus d'un an, Shiran Ben Abderazak se montre à l'aise dans son fauteuil qu'il est loin d'avoir envie de quitter pour le moment. « La fondation est un lieu d'action. Cet organisme permet d'avoir un impact sur des choses qui me tiennent à cœur. Je suis persuadé qu'une des voies de développement, c'est l'économie créative », explique celui qui est en train d'aménager la villa-bureau de la fondation Rambourg pour qu'elle devienne un lieu d'accueil et d'échange.
Maryline Dumas
