15 Avril 2021

Pourquoi dit-on que les Tunisiens sont schizophrènes ?

Pourquoi dit-on que les Tunisiens sont schizophrènes ?

Les paradoxes qui caractérisent notre société sont nombreux et on les constate même dans les textes de lois. Il suffit de consulter l’article 6 de la Constitution qui garantit la liberté de conscience et de religion mais qui, sur le terrain, n’est pas appliquée. C’est une sorte de schizophrénie “légale” qui figure parmi les causes de la schizophrénie que l’on peut observer sur le plan social. Peut-on dire, dans ce cas, que le Tunisien est schizophrène ? Fidèle à la tradition, Hoa Magazine a décidé de se pencher sur cette question tabou pour mieux la comprendre.


En plus de sa dimension psychologique, la schizophrénie présente indiscutablement une dimension sociale. “Aujourd’hui, les comportements et les décisions du Tunisien s’adaptent aux circonstances. Il est devenu un acteur qui monte sur scène. Il ne fait que s’adapter, même s’il fait face à des contradictions en lui”, a déclaré le professeur universitaire et sociologue, Belaïd Ouled Abdallah à Hoa Magazine.

La schizophrénie et le besoin d’acceptation et de reconnaissance

L’expert affirme que le Tunisien est capable “de changer de positions comme il change de chemises”. C’est un fait que nous pouvons observer dans la politique, notamment chez les députés et chez certains journalistes selon le sociologue. La schizophrénie, poursuit-il, n’est pas forcément une maladie. “Un individu peut y recourir dans un objectif de socialisation, dans l’espoir d’être accepté par une société ou une communauté donnée. Il veut être reconnu”, a-t-il expliqué. Dans ce même contexte, l’individu s’approprie un rôle bien déterminé par la société et par les exigences sociales. “Il tente de s’adapter, tout en cherchant l’approbation des autres”, a encore ajouté le sociologue .

Aux origines de la schizophrénie

Schizophrénie et sociologie sont donc liées. Elles sont également - et inévitablement ! - liées à la dimension psychologique. “La schizophrénie est une maladie mentale psychiatrique englobant un ensemble de symptômes : les délires, les hallucinations, le retrait social et les atteintes de la cognition”, a déclaré la psychologue sociale Hager Nayel à Hoa Magazine. Il convient, selon la praticienne, de faire la distinction entre la maladie et l’idée que l’on se fait de la maladie. Dans le sens commun, un schizophrène est une personne qui fait une chose et son contraire “sans pouvoir contrôler ce délire”.

La société tunisienne, selon Hager Nayel, est touchée par ce phénomène. “Notre société est caractérisée par une démocratie qui peine à trouver ses repères. 

“Appeler à une chose et faire son contraire”

De ce fait, il existe une alternance entre le passé et le présent, entre le progrès et l’immobilisme. Il s'agit, poursuit-elle, d’une schizophrénie “d’une société qui trébuche et qui ne sait pas comment trouver sa voie pour retrouver ses nouveaux repères”. Il existe, dans ce même contexte, un exemple parlant et il concerne la violence. “Aujourd’hui, on appelle à lutter contre ce phénomène mais en même temps, on l’exerce au niveau de ceux qui légifèrent la loi - Assemblée des Représentants du Peuple -. Entre tolérance et interdictions, entre le poids de certaines représentations sociales, normes, dogmes, religion, loi et liberté et contrôle sociétal, le Tunisien est emporté par une vague dont il ne sait sur quel rocher elle va se briser”, a encore expliqué Docteure Hager Nayel.

La jeunesse, première victime de la schizophrénie

La jeunesse est indiscutablement la première victime de cette tendance schizophrène générale. Ce sont pourtant des jeunes qui se préparent pour la vie active, à construire des projets de vie et à réaliser leurs rêves. D’un autre côté, la psychologue sociale déplore l’absence d’une stratégie globale, initiée par les pouvoirs publics, en vue de lutter contre la schizophrénie. Il n’y a eu, selon l’experte, que des demi-mesures, des plans de chômage, des primes et des contrats de travail fragiles et non durables.

Pendant ce temps, la colère des jeunes grandit. “Cette schizophrénie doit être prise en charge avec beaucoup de bienveillance et d’empathie. Cela passe par l'instauration d’une communication en bonne et due forme. Il s’agit, aussi, d’instaurer une écoute active et dynamique auprès des jeunes. Cependant, la société a été conditionnée par 10 ans d’une politique en manque de repères. Cette société s’est conformée à la situation et elle a malheureusement donné une légitimité à cette schizophrénie qui est devenue un comportement marquant dans la vie quotidienne du Tunisien de 2021”, a encore expliqué la psychologue sociale Hager Nayel.
 
Fakhri Khlissa