26 Mars 2021

Who’s Hoa : Mohamed Frikha, à la conquête de l'espace

Who’s Hoa : Mohamed Frikha, à la conquête de l'espace

Il faut dire que depuis le lancement, avec succès, du Challenge One le 22 mars 2021, Mohamed Frikha, fondateur de Telnet Holding, n’a pas eu une minute à lui. Hoa Magazine s’est entretenu avec le fondateur de l’entreprise tunisienne qui a envoyé le tout premier satellite tunisien dans l’espace. Un exploit et une fierté. Et croyez-nous : ce n’était pas facile de l’avoir. C’était un jeudi, quelques jours après la mise en orbite du Challenge One. Initialement prévu à 16h, notre entretien a commencé vers 16h20. Mohamed Frikha était en réunion. Nul doute que l’homme était exténué, tant par l’émotion de la réussite que par le travail, mais cela ne l’a pas empêché de garder le sourire et d’être chaleureux avec nous. Il veut parler du bébé de Telnet et, surtout, valoriser la réussite tunisienne. D’ailleurs, c’est une chose qu’il n’a cessé de répéter bien avant le début de l’interview. “Il faut mettre fin à la médiocrité, encourager la jeunesse tunisienne et l’inciter à rester dans notre pays”. Comment l’équipe a-t-elle vécu les dernières minutes avant le lancement du Challenge One ? Et si l’on parlait de l’expérience politique de Mohamed Frikha ? Tant de questions qui ont été abordées avec lui dans un entretien accordé à Hoa Magazine. Attachez bien vos ceintures : décollage imminent pour rejoindre le Challenge One - ne vous inquiétez pas, on retournera sur Terre juste après -. Interview.

“Pour ne rien vous cacher, j’ai passé une nuit blanche la veille du lancement du Challenge One”, nous a confié Mohamed Frikha au début de l’entretien. Envoyer un objet dans l’espace était une chose inédite pour la Tunisie et pour l’entreprise, d’autant plus que le risque d’un nouveau report était réel, et ce à cause des conditions climatiques. Tout devait être parfait. “Le report du 20 mars 2021 nous a contrariés. Même pour le 22 mars, il y avait des risques”, a-t-il précisé.

“C’était exceptionnel, la jeunesse tunisienne s’est surpassée”

Finalement, la Tunisie l’a fait : elle a lancé son propre satellite dans l’espace ! “Ce travail a été mené par cette équipe jeune que nous avons essayé d’encadrer. Nous lui avons fourni les moyens, notamment à travers nos réseaux de relations, ce qui leur a permis d’accéder, à titre d’exemple, aux supports des agences spatiales. Ces jeunes sont très brillants. Le résultat obtenu est extraordinaire. Ils ont montré que c’était possible”, a déclaré Mohamed Frikha.


“C’était exceptionnel”, ajoute-t-il encore, avec la pointe d’une fierté vibrante et émotive dans la voix. À un moment, on avait l’impression qu’il avait la gorge nouée, les yeux larmoyants, visiblement par l’émotion. "Ça montre que les Tunisiens peuvent faire des miracles. On doit croire en la jeunesse tunisienne, mais aussi dans le système éducatif, même si ce dernier doit être amélioré à bien des égards, car il a donné naissance à des ingénieurs compétents. On doit croire en la détermination et en la personnalité de la jeunesse tunisienne. Face aux défis, elle se surpasse. Avec l’envoi d’un satellite dans l’espace, nous avons franchi un pas considérable”, a-t-il confié.

 

Le Challenge One face à mille et une difficultés

Selon Mohamed Frikha, le premier obstacle a été le manque de ressources dans notre pays. De fait, le budget consacré à la recherche et au développement, contrairement à d’autres pays, est limité. La Tunisie, d’un autre côté, ne possède pas d’agence spatiale, mais seulement une commission extra-atmosphérique.

Autre problématique, et non des moindres : la législation n’est pas adaptée à l’envoi de satellites dans l’espace. “Nous avons tenu compte de tout cela. Quand ça bloque, nous faisons un détour, comme le faisait le leader Habib Bourguiba à son époque. L’équipe était déterminée à réaliser son rêve. Elle s’est donc adaptée aux difficultés”, a-t-il expliqué.

L’apport du Challenge One pour la Tunisie et pour l’IoT

Le Challenge One est donc désormais dans l’espace. Une véritable réussite pour la Tunisie. Mais après, quel sera son apport ? Interrogé sur ce point, Mohamed Frikha explique que l’objectif du Challenge One est de permettre à la Tunisie de devenir une actrice majeure dans le domaine de l’Internet des Objets (Internet of Things ou IoT). “Longtemps, nous avons subi les technologies. Nous devons donc prendre part à l’IoT. C’est une technologie en plein essor. D’ici 2030, plus de 70 milliards d’objets seront connectés dans le monde. Derrière tout cela, il y a des applications, la robotique et l’intelligence artificielle. Seul l’espace est capable de couvrir 90% de la terre avec le réseau. Les autres 10% sont assurés par le réseau terrestre. Nous voulons que les entreprises tunisiennes prennent part à cette vague technologique. Ceci va permettre de créer une véritable dynamique. La Tunisie doit être au rendez-vous”, a-t-il souligné.

 

“S’agit-il d’une opportunité pour les start-ups tunisiennes ? Une incitation pour qu’elles restent dans notre pays ?”. Réagissant à cette question, le fondateur de Telnet Holding rappelle que l’objectif est, en effet, de créer une dynamique au profit de ces entreprises tunisiennes innovantes. “Nous allons coordonner avec le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique et celui des Nouvelles Technologies en vue de la mise en place de cet écosystème. Celui-ci comprendra un volet consacré à la formation. Cette dernière sera proposée sous forme de masters dans des écoles spécialisées. Dans cette optique, Telnet Holding va ouvrir ses laboratoires et partager ses connaissances avec les étudiants. C’est notre devoir”, a-t-il assuré.

 

Nanotechnologie : la réponse aux ”nabaras”

Et qu’en est-il des “nabaras” dont nous parlions sur Hoa, et qui ont essayé de rabaisser l’expérience tunisienne avec le Challenge One ? Sur ce point, Mohamed Frikha a affirmé qu’il ne faut aucunement céder à ce genre de critiques. “Si nous les avions prises en compte, nous n’aurions pas pu aller aussi loin. Le 1er avril 2019, nous avons signé un accord avec l’agence spatiale russe Roscosmos. Tout le monde parlait d’un poisson d'avril. Nous étions démoralisés, mais nous avons décidé de continuer. Certains ont critiqué le poids et les dimensions du Challenge One. Il faut rappeler que la technologie n’a jamais été liée aux grandes dimensions. Il suffit de regarder nos smartphones : ils sont légers, petits et complexes. C’est la base de la nanotechnologie : compacité et efficacité”, a-t-il expliqué.

 

“Je servirai mon pays de là où je suis”

Le Challenge One est donc une réussite tunisienne indiscutable. Nous ne pouvions pas, d’un autre côté, discuter avec Mohamed Frikha sans évoquer son expérience politique. Il a exclu tout retour dans ce monde. “Lorsque j’ai fait de la politique, c’était pour servir la Tunisie. Or, j’ai découvert que l’environnement n’était pas sain. J’ai donc décidé de me retirer en 2018. Les choses, aujourd’hui, se compliquent davantage. Je servirai mieux la Tunisie de là où je suis”, a-t-il confié.

Le mot de la fin ? “L’avenir, c’est la jeunesse”

C’est avec un message d’espoir, adressé à la jeunesse tunisienne, que nous avons conclu l’interview avec Mohamed Frikha. Ce dernier estime qu’il a accompli sa mission d’une certaine manière. “Nous devons travailler pour l’avenir de nos enfants. J’ai été énormément marqué lorsque j’ai constaté que des enfants ont pu lire des livres sur l’espace que nous avons préparés à l’occasion de la journée du lancement du Challenge One. Nous voulions donner à nos enfants les mêmes moyens dont disposent ceux des pays développés. La jeunesse est l’avenir, et cette jeunesse doit être fière de son pays. Il faut croire en nos compétences. J’appelle, aussi, les jeunes à rester dans leur pays car l’avenir se dessine en Tunisie. A ces jeunes, je dis qu’il faut être fier de cette Tunisie de nos ancêtres qui respectaient leurs engagements. Il ne faut pas céder au désespoir”, a-t-il conclu.

 

Fakhri Khlissa