29 Septembre 2020

Hoa Décrypte | Peut-on s'aimer en Tunisie ?

Hoa Décrypte |  Peut-on s'aimer en Tunisie ?

Si la sexualité en Tunisie est encore un sujet tabou, comment les couples non-mariés s’épanouissent-ils dans leur relation de couple ? Surtout quand on sait qu’un couple non-marié n’a, a priori, pas le droit de réserver une chambre d’hôtel, que le concubinage est interdit par la loi –les concubins étant passibles de deux ans d’emprisonnement- et que la « police des mœurs » crie aux abois à la moindre manifestation d’un signe affectif entre deux personnes de sexe opposé ? Doit-on renoncer à l’amour dans un pays qui tolère la prolifération des sites pornographiques tout en tapant sur les doigts des amoureux ?

C’est ce qu’on a essayé de comprendre. Hoa Décrypte.

Les vacances du désamour

En Tunisie, seuls les couples mariés et les familles lambdas, autrement dit, seuls les personnes qui répondent au schéma social de la famille et qui correspondent à son cadre bien lisse  auraient le privilège d’avoir des vacances dignes de ce nom. En effet, même si « aucune loi ni circulaire n’interdisent aux couples non-mariés de séjourner dans un hôtel », comme le confirme Me Bassem Trifi, vice-président de la  Ligue Tunisienne de la Défense des Droits de l’Homme (LTDH) , certains hôteliers continuent de refouler les amoureux qui n’ont pas encore de contrat « légal » pour coucher.

 

Le vice va jusqu’à une descente nocturne de ces « policiers des mœurs » qui embarquent et le couple et le/la réceptionniste qui a participé à leur Péché. En 2012, justement, deux descentes successives ont eu lieu dans un hôtel à Hammamet, devant le regard incrédule des nombreux touristes qui ont assisté à cette intolérance à l’amour.  Le clou du spectacle ? L’été dernier, une tunisienne résidente en France et mariée à un français a été recalée d’un hôtel parce qu’elle n’était pas « mariée » selon la loi locale. Quiproquos sociaux ou abus de pouvoir culturel ? M. Tarek Lassadi, le CEO de Treveltodo,  le pionnier des agences de voyage en Tunisie,  a bien voulu nous livrer son avis sur un sujet aussi croustillant qu’épineux

 

 

 « Aujourd’hui, on se marie, on se déchire et on divorce pour éviter les problèmes. C’est tellement triste de malmener autant l’amour. »

 

Faites la guerre, pas l’amour

 « Ce que je ne comprends pas, c’est que tout le monde a un accès-libre à la pornographie –le fameux 404 est tombé avec Ben Ali- et qu’en contre partie, on fait la guerre aux couples non-mariés ! C’est une sorte de chasse aux sorcières… aux mœurs anti-conventionnelles, non ? » dis-je, confusément.  

« Exactement. D’autant plus qu’aujourd’hui, la politique mise en place et les stratégies qu’on élabore tendent à faire évoluer le tourisme local mais si, en parallèle, on commence à faire fuir nos clients, ces derniers vont certainement chercher ailleurs ? » M. Lassadi continue, non sans une pointe d’amertume « Imaginez un jeune couple, disons d’une trentaine d’années, a qui on enlève le droit de s’aimer et auquel on incombe la pression du mariage, sachant que pour se marier, il faut être Crésus et dépenser des sommes astronomiques dans les préparatifs, le logement, la fameuse Lune de Miel, dans l’unique but de rentrer dans le moule social, comment voudriez-vous que ce couple réagisse ? Il va forcément voyager et partir dans un pays où l’amour ne sera pas banni, pour s’épanouir sexuellement. 4000dt c’est toujours plus facile à avoir que 40000dt+un contrat d’incertitudes qui finira par être annulé lors d’un divorce » Toutefois, M. Lassadi insiste sur le fait que « Chez Traveltodo, on ne va pas s’amuser à vérifier l’état civil de nos clients, surtout qu’on enregistre plus de 8000 réservations en ligne à l'année donc par CB. Le client est donc automatiquement renvoyé vers "réservé". Mais voilà, je sais qu’il y a une sorte de loi ambigüe qui date de la fin des années 50 et qui se rapporte aux mœurs, une loi qui, à mon sens, doit être revue et remise au goût de notre époque. Aujourd’hui, on se marie, on se déchire et on divorce pour éviter les problèmes. C’est tellement triste de malmener autant l’amour. »

 

  


 

C’est l’amour ou la prison à la plage ?

Ainsi, aucune loi n’interdit, explicitement, aux couples hétérosexuels de résider dans une même chambre, au même hôtel. Alors pourquoi on les pourchasse, chaque fois que l’occasion se présente ? Ceci n’est pas une atteinte à la vie privée et à l’intégrité de la personne, si on rajoute la manière quasi-barbare avec laquelle on les traite et toute la médiatisation puérile et les commentaires rageux qu’un couple récolte, sitôt que son arrestation est rendue publique ?

 

Petit reminder et pas des moindres : la Tunisie détient la première place en terme de divorce, avec pour motifs récurrents : crime d’adultère, incompatibilité sexuelle et problèmes financiers. Il faut donc comprendre que le mariage est devenu la solution miracle approuvée par une société schizophrénique et frustrée de l’entrejambe. 

 

Bienvenue dans les coulisses des alcôves tunisiennes, ces lits doubles où la jouissance est faussée, où l’on simule toute sa vie et où l’on couche en pensant à sa maîtresse. 

 

 

Fatma