01 Février 2021

Who's Hoa ? : Hichem Ben Ammar

Who's Hoa ? : Hichem Ben Ammar

 

Un petit coup de mou ? Passez voir Hichem Ben Ammar à la cinémathèque de Tunis. En quelques minutes, le directeur artistique et ancien réalisateur peut redonner foi en l'humanité, en l’administration et bien sûr, en la culture. Loin de l'image des dirigeants d'institution corsetés, Hichem Ben Ammar répond, sourire aux lèvres, et avec naturel. Pourtant, l’idée d’un portrait ne l’emballait guère : « Je préfère parler de la cinémathèque. » 


Même lors de la séance photo, il arrive à mettre l'image en avant plutôt que sa personne, en donnant son avis de réalisateur sur les clichés... Gêné d’être au centre de l’attention, il demande à être rejoint par un membre de son équipe. Cela ne l’empêche pas de se lâcher et de prendre des poses dynamiques. Ouvrir les bras, montrer le poing en riant... 
Au fil des heures, il laissera échapper un peu de sa personne. Celle d’un homme qui, au 3eétage de la cité de la Culture de Tunis, voit son rêve s’accomplir. Un rêve dont il est le principal acteur. Avec une mission complexe : « Poser en trois ans les fondations » de la première cinémathèque, dont il a été nommé directeur artistique en juin 2017. 

 

 

    © HOA MAGAZINE / MOHSEN BEN CHEIKH

 

UN REVE DE JEUNESSE

 L'homme a eu le temps de réfléchir à son projet, « un rêve de jeunesse ». Dès 2009, il est contacté pour prendre le poste de directeur artistique de la cinémathèque au sein de la Cité de la Culture : « Je savais que, même sous Ben Ali, il fallait accepter. Il ne fallait pas faire la fine bouche. A l'époque, l'objectif était de modifier l'ADN de ce projet destiné à la propagande pour faire passer un message, l'utiliser comme un levier pour le cinéma. Aujourd'hui, nous avons la chance de donner une âme totalement différente à ce lieu. » L’homme savoure, sans oublier pour autant le passé. Une salle de projection a été baptisée « Sophie El Goulli », du nom de cette historienne de l’art qui avait, dans les années 60 lancé un « prototype » de cinémathèque en diffusant des films arrivant par valise diplomatique. « Elle désespérait de ce projet. Elle n’y croyait plus et ne comprenait pas que je m’accroche. Elle est décédée en 2015 sans savoir qu'il verrait finalement jour », se souvient Hichem Ben Ammar qui la considère comme sa « mère spirituelle ».

 

Né en 1958 à Tunis, Hichem Ben Ammar a d'abord enseigné le cinéma et l'audiovisuel avant de se lancer dans les documentaires. Cafichanta(1999), sur les cafés chantant pendant Ramadan, et Raïs Labhar, Ô capitaine des mers(2002), sur les pêcheurs de thon en Méditerranée, seront salués par les critiques. En 2000, le Tunisien lance une « entreprise citoyenne », 5/5 Productions, spécialisée dans les documentaires. Il est également à l'origine du festival « Djerba Doc Days. » Des activités que Hichem Ben Ammar ne peut plus gérer au vu de ces nouvelles fonctions. 5/5 Productions est « gelée » et Djerba Doc Days cherche un repreneur. 

 

SE DONNER DES OBJECTIFS CLAIRS

Aujourd'hui, sa plus grande fierté réside dans le partenariat passé avec la Bibliothèque nationale qui prend la forme d'un espace de 1050 m² dont l’inauguration est annoncée pour juin 2019. En mars, c’est une bibliothèque spécialisée avec une banque du scénario qui ouvrira à la cité de la culture. En septembre, un service de vidéo à la demande pour les professionnels et les étudiants sera mis en place. Pour contrecarrer les retards habituels - « en Tunisie, c'est un sport national de faire un pas en avant et trois en arrière » -, Hichem Ben Ammar a imprimé ce calendrier sur une plaquette qu’il distribue fièrement : « Il faut se donner des objectifs clairs. » 

Un programme de restauration des archives vidéos est également en projet pour un coût d'environ 1,5 millions de dinars. Le directeur artistique voit loin : « Cette structure pourrait être culturelle et commerciale. Au lieu d'aller en Europe, les professionnels du continent pourraient venir numériser leurs films chez nous. »

 

     © HOA MAGAZINE / MOHSEN BEN CHEIKH


ATTIRER LA JEUNESSE TUNISIENNE

En attendant, il travaille dur, souvent interrompu par son équipe, dont la majorité n'a pas 30 ans et qu'il doit encore étoffer. La force de « sa » cinémathèque, c'est avant tout les projections publiques. C'est avec plaisir que Hichem Ben Ammar fait visiter les deux salles qui attirent en moyenne 45 personnes par séance. « C'est un beau résultat alors que nous n'avons pas pignon sur rue », estime le directeur artistique qui voudrait attirer plus de jeunes : « les 50 ans et plus viennent retrouver les films de leur jeunesse. Nous voudrions que les jeunes viennent en découvreurs. »


Celui qui dit faire du « cinéma culturel ou de patrimoine » ambitionne de développer la cinémathèque dans les régions. A l'heure actuelle, des séances ont lieu de façon itinérante une fois par mois. Mais Hichem Ben Ammar rêve « d'une cinémathèque algérienne comme à son heure de gloire où il y avait 14 salles en région. » L'homme ne pense pas qu'à sa crémerie : « il ne faut pas oublier les salles de quartier à Tunis. Chacune est une expérience différente à soutenir. Il faut développer le parc en donnant possibilité aux films tunisiens d'être vus sur leur territoire. L’arrivée de Pathé a doublé quasiment le parc en apportant huit nouvelles salles en plus de 10 existantes. » 

L’homme qui s’est fixé pour mission de restaurer la mémoire patrimoniale audiovisuelle du pays a 3 ans à attendre pour revenir à sa passion : la réalisation.

 

Maryline Dumas