10 Juillet 2019

Who's Hoa ? Lotfi Hamadi, l'entrepreneur décomplexé, libre et social

Who's Hoa ? Lotfi Hamadi, l'entrepreneur décomplexé, libre et social

Ce « créateur de concepts » - c'est ainsi qu'il se définit - a créé plusieurs projets en Tunisie, qu'il a dû arrêter pour différentes raisons. Aujourd'hui chargé du développement du rooftop du Dar el Jeld, il se bat pour améliorer l'éducation des enfants à travers l'association « Wallah we can ».

Sa « bibliothèque nationale », comme il l'appelle, prend la forme du croissant de lune et de l'étoile du drapeau tunisien installé dans son salon. Pourtant, ce pays, il l'a d'abord méconnu puis honni avant de s'y installer après la révolution en 2011. Lotfi Hamadi, barbe de trois jours et chemise cintrée, y vit, y entreprend et s'y engage.

Lotfi avec ses deux chiens; Marsa et Paname


Né à Kesra en 1976 d'une mère femme de ménage et d'un père maçon, Lotfi Hamadi arrive en France à deux ans. C'est à Verrières-le-Buisson, en banlieue parisienne, qu'il grandit et devient amoureux des livres qui remplissent, en vrac le croissant de lune et l'étoile : « Mon père, peu éduqué, pensait que toute lecture hors manuel scolaire était inutile. J'étais le cadet de 7 enfants, je voulais transgresser les règles. » Dans cette ville bourgeoise, la famille s'installe dans un quartier de 5 HLM : « On était le « quota social » (une loi française oblige les communes à construire 15% de logements sociaux, ndlr). On s'emmerdait tellement qu'on appelait la police pour qu'elle vienne nous contrôler », rigole Lotfi.

« J'étais bosseur et sérieux »


Pour financer ses études de droit, le jeune homme, qui présente bien, commence à travailler dans les boîtes de nuit. Un lieu étrange pour ce musulman pratiquant qui refusait de « mettre un pied là où il y avait de l'alcool. » Il prendra ses distances avec la religion à cause des études : « En rentrant de la fac, je devais rattraper toutes mes prières de la journée, cela devenait automatique et je considère que soit on fait les choses en conscience, soit on ne les fait pas. » Sa piété lui a cependant apporté un atout par rapport aux jeunes de son âge : « J'étais bosseur et sérieux. Au bout de 6 mois, j'étais devenu le plus jeune manager du monde de la nuit parisienne (au MCM café, ndlr). »

A tel point que Lotfi abandonne ses études au bout de deux ans. Gestionnaire des vestiaires de plusieurs établissements, il connaît l'aisance lors du passage à l'Euro qui s'associe à une hausse des prix généralisée. Il déménage alors sur l'île saint Louis, au coeur de Paris. Un quartier auquel il rêvait quand il était adolescent à la fois pour son aspect cossu et pour son caractère historique, puisque c'était le siège de la résidence royale au Moyen-Age, époque où se déroulent les Rois Maudits, un livre que Lotfi a lu et relu.


A l'été 2003, il tente un retour dans son pays natal, qu'il connaît peu de son propre aveu. Il ouvre alors le « Banana café » à Hammamet. « Cela a été une gifle, je suis reparti dégoûté », explique Lotfi Hamadi qui mentionne la difficulté de trouver du personnel stable, la corruption et un accord avec l'ONTT qui est tombé à l'eau. Le beau gosse traverse alors l'Atlantique et pose ses valises à Montréal. Au culot, il propose d'organiser une soirée dans une boîte un mardi (jour où elle fait le moins d'entrées). Cela fonctionne et il signe un contrat. Mais après quelques années, il quitte le monde de la nuit pour devenir directeur de projet de la Chambre de commerce de Montréal et sera chargé du quartier historique du vieux Montréal.

 « Je ne voulais pas faire du patriotisme « Western union », je ne pouvais pas ne pas agir, alors je suis rentré. »

 

Bien installé, il s'imagine demander la nationalité, mais ne se voit pas retourner en Tunisie pour récupérer son acte de naissance : « J'avais rayé ce pays de ma vie après l'expérience du Banana Café ». C'est la révolution qui va tout changer : « J'étais dans un café de Montréal quand j'ai appris le départ de Ben Ali et je me suis mis à pleurer. Je me suis dit qu'on allait enfin changer les choses. Je ne voulais pas faire du patriotisme « Western union », je ne pouvais pas ne pas agir, alors je suis rentré. »

Installé à La Marsa, Lotfi Hamadi s'engage d'abord en politique, au parti AL Joumhouri. « Mais j'ai vite compris que la politique était une coquille vide et que la solution, c'était les associations et l'entrepreneuriat. Nous avons donc crée « Wallah We Can » pour répondre aux problèmes. » C'est en visitant l'internat de Makhtar (à proximité de son village natale, 170km au sud de Tunis), alors qu'il cherche un établissement pour un jumelage avec une école française, que Lotfi a le déclic.

« Nous avons fait des erreurs. Mais quand on s'en rend compte, on reprend à 0. L'objectif c'est de trouver un modèle efficient et concret. »


Stupéfait, il découvre l'humidité, le froid et le manque de confort auxquels sont confrontés les élèves. Il parvient à équiper l'école de nouveaux matelas et couvertures. Mais quelque temps plus tard, tout doit être brûlé suite à une épidémie de gale. « Je m'en suis voulu, admet Lotfi Hamadi. Si j'avais prêté plus attention, j'aurais constaté que les élèves n'avaient qu'une douche froide par mois, qu'il y avait un problème d'hygiène.

Alors j'y suis retourné, j'ai regardé ces bâtiments avec une casquette d'entrepreneur. J'ai vu les toits où on pouvait faire du photovoltaïque, le terrain cultivable... » L'idée émerge de créer un « établissement modèle » qui serait auto-suffisant et pourrait même faire des bénéfices. Six ans plus tard, l'internat de Makhtar consomme 30% de sa production d'énergie solaire, les élèves bénéficient de douches chaudes et des plantations sont en cours sur le terrain. « Nous avons fait des erreurs. Mais quand on s'en rend compte, on reprend à 0. L'objectif c'est de trouver un modèle efficient et concret. »


Parallèlement, Lotfi Hamadi a ouvert différents restaurants. Aucun n'a tenu sur la durée. Celui qui est apparu dans différentes publicités dont, dernièrement, les vols Tunisair vers Montréal évoque des « mésaventures » : « La période post-révolution est toujours un peu anarchique, il y a une démocratisation de la corruption. » Il dénonce surtout le problème de la licence d'alcool, « une règle opaque qui encourage la fraude » : « les créateurs de concept comme moi se retrouvent dans l'obligation de signer un contrat de gestion pour compte avec une personne qui dispose de la licence (liée à un lieu et à un nom, ndlr). Quand le projet fonctionne, la personne veut se l'accaparer. Nous sommes des nomades de concepts. » Le quadra a du coup décidé d'arrêter tout projet tant que la loi ne sera pas modifiée.

 

En attendant, il développe le rooftop du Dar El Jeld, un lieu qu'il ne cesse d'admirer pour la vue panoramique qu'il offre. Depuis Ramadan, il se démène pour organiser une programmation « sympa et acoustique », avec des chanteurs a cappella, des « mardis ciné »...
Lotfi Hamadi suit son chemin, même s'il se sait critiqué : « J'assume d'être un personnage polémique qui ne laisse pas indifférent. Mais cela suffit les gens qui critiquent sans rien faire. »  Lui se dit libre et indépendant : « Je ne possède rien, à part mes deux chiens. Ma seule obligation, c'est de remplir la gamelle de Marsa et Paname le soir. »

Maryline Dumas