Coronavirus | La situation économique en Tunisie simplifiée pour les nuls

TMM, Inflation, Taux directeur, report des échéances, baril de brent .... on n'entend que ce charabia depuis le début de l'épidémie du coronavirus en Tunisie. Mais même avec notre bonne volonté et toute notre concentration, on n'y comprend que dalle. Le challenge de simplifier l'impact du coronavirus sur l'économie tunisienne est de taille mais chez Hoa rien ne nous fait peur. 3,2,1 GO.

Le fric c'est plutôt chic

Tout d'abord commencons par les basiques, des petites définitions s'imposent :

Taux directeur = C'est le taux d'intérêt au jour le jour et il en existe trois et blablabla. Pour te la faire courte, imaginons que tu emprunte, chaque jour, 10dt à ta meuf. Sur ces 10dt s'ajoutera un taux d'intérêt variable (1dt tel jour, 2dt un autre jour etc) afin de lui assurer ses arrières et pour qu'elle y trouve son compte. C'est comme ça que la monnaie circule.

TMM = C'est le Taux du Marché Monétaire c'est-à-dire que c'est un taux "auquel les banques s'empruntent et se prêtent de l'argent entre elles". Exemple: Tu donnes 5dt à un pote pour qu'il recharge son crédit et il te dépanne quand t'as besoin d'acheter une capote mais que t'as pas de liquide pour payer ce pharmacien grincheux.

Inflation = C'est l'augmentation ou la baisse du pouvoir d'achat qui... attendez 2s, pour faire simple: si ton paquet de Marlboro passe de 6dt100 à 10dt, du jour au lendemain et qu'au lieu de t'en enfiler trois, tu te contentes d'un paquet parce que tu n'arrives plus à en avoir plus et bien, ton porte monnaie est victime de l'inflation des prix. Maadech khalet khouya !

Liquidité = Ce sont les biens disponibles illico (exemple: les billets, les pièces de monnaie). Ce terme désigne au singulier la capacité d'acheter ou de vendre rapidement comme... dans une vente aux enchères: on saute sur une occasion donnée au risque de la rater.

Autre exemple: si tu avais une dette importante, tu devrais sacrifier tout de suite un bien pour la payer. La liquidité est synonyme de réactivité.

En gros, on utilise ces pratiques dans notre quotidien. Le modèle économique serait donc calqué sur nos propres interactions avec le money !

Maintenant que nous sommes un peu plus avertis, on peut se lancer dans le vif du sujet.

Pour répondre à nos questions, nous avons fait appel à la crème de la crème, celui qui fait rougir ses ainés et inspire les plus jeunes par ses compétences et ses fines analyses. Notre Hoa dont nous respectons l'anonymat est un jeune entrepreneur à la tête d'un cabinet de conseil en stratégie et investissement. Diplomé de la Sorbonne ET de Harvard (on vous a prévenu, c'est le nec + ultra ) , et il a accepté de nous livrer ses réponses.

1/ Comment un virus peut impacter et mettre en péril l'économie ?

Parce qu’une mauvaise nouvelle pour les uns, est une mauvaise nouvelle pour les autres. Si vos clients s’appauvrissent, et bien vous vendez moins. Si vous vendez moins, votre équipe gagne moins. Eux mêmes se mettent à consommer moins, ce qui réduit les ventes des autres, et ce cercle vicieux entraîne quelque chose de néfaste pour l’économie: une baisse de confiance. Les passionnés d’histoire, et beaucoup d’entre nous, pensent que, et c’est bien souvent le cas, que le passé explique le présent.

Essayez de compter le nombre de fois où vous avez pensé que ce qui s’est produit la veille, où il y a quelques années, a déterminé ce qui se produit aujourd’hui. En économie, et dans les marchés, c’est l’inverse: c’est l’avenir qui explique le présent. Ou plus précisément, ce sont les anticipations d’avenir qui expliquent les actions d’aujourd’hui. Si vous êtes persuadé d’une future promotion, ou d’un marché gagné, alors ça transforme votre comportement d’aujourd’hui: vous souriez, vous fêtez ça, tkhalssou el mabrouk, in fine, vous consommez, et vous investissez, vous faites des largesses. Par contre, si vous êtes dans le doute, sur le maintien de votre emploi, sur le fait que vos clients vont réduire ou annuler des commandes, alors, vous souriez en général un peu moins, vous serez la ceinture, vous économisez, vous participez d’un cercle vicieux.

Finalement, en économie, l’avenir provoque le présent, et quand l’avenir est un grand point d’interrogation, et qu’il fait peur, et bien ça parasite le présent. Le virus Corona, sème le doute parce qu’il n’y a pas encore de remède, qu’il concerne le monde entier, donc tous les producteurs, travailleurs, consommateurs du monde, dont la capacité se contracte, et parce que personne ne sait dire quand est ce que ça se terminera, et à quel prix, le présent en est affecté, en anticipation d’un avenir semé par le doute et par la peur.

2/ Est-il vrai que les tunisiens vont se retrouver au chomage ou risquent de ne pas avoir de salaire ?

L’état, le patronat et syndicat ouvrier ont été clairs la dessus: on touche à tout, sauf à l’emploi. Le maintien de l’emploi est donc une priorité, la trésorerie des entreprises sera donc focalisé sur le paiement des salaires, mais si ça va vers les salaires, cela veut dire que ce sera aussi au dépend des engagements fiscaux, bancaires etc. C’est finalement le seul choix possible, pour un pays dont le chômage est déjà trop haut, et dont la priorité doit rester l’humain.

Par contre, il y a de nombreux petits métiers, qui n’ont pas de salaire, ou plutôt, leur vrai salaire, c’est leurs ventes: je pense par exemple aux artisans, et bien d’autres: quand ils ne bossent pas, quand ils ne vendent pas, il ne peuvent pas subvenir à leurs besoins: hors, beaucoup d’entre eux vivent du tourisme, et autant dire que le touriste cette année, il se fera prendre en photo dans son petit appart avec l'une des plages de Hammamet en guise de fond d'écran !

Comment assurer un revenu minimum à tous ces petits métiers, qui perdant leur maigre chiffre d’affaires, perdent leur moyen de subsistance. C’est la limite du modèle, si nous avions un système d’identification unique, cela aurait été rapide de les recenser et faire un transfert direct d’argent. D’une manière ou d’une autre; cela doit avoir lieu, car il y a de nombreuses patentes individuelles qui ne sont pas bancarisées, qui ne sont pas nécessairement connectées à la micro-finance, et dont le gagne-pain est menacé.

3/ Sommes-nous face à une crise passagère ou vivons-nous les prèmices d'un crash de notre économie ?

Personne ne saurait répondre à cette question, car cela dépend de notre capacité à gérer la crise sanitaire et des bonnes mesures de soutien économique à prendre très tôt.

4/ On a tendance a comparer notre situation avec la France, est ce qu'on peut dupliquer chez nous quelques unes de leurs dispositions ?

Nous serions bien inspirés de dupliquer la disposition d’aide directe aux petits métiers et artisans. Le report des engagements fiscaux et bancaires sont aussi des mesures prises en France, mais aussi en Jordanie. Nous avons par contre d’autres problèmes, que la France n’a pas le luxe d’avoir, car elle dispose d’une monnaie mondiale: l’euro. Notre économie est axée sur notre capacité à attirer de la devise étrangère, qui nous sert à nous équiper, importer, rembourser nos prêts internationaux, soutenir notre dinar et donc le pouvoir d’achat.

La devise en Tunisie, provient de 4 grandes catégories: les recettes touristiques, et cette année, faudra pas trop compter dessus. Les transferts des tunisiens résidents à l’étranger: il y en aura toujours, mais moins, parce que eux même visent une crise mondiale qui impacte leurs revenus. Les exportations: 70% de nos exportations sont tournées vers l’Europe, une europe qui se contracte, donc nos recettes seront de moindre ampleur. Et enfin l’investissement direct étranger, qui du fait de la crise mondiale, est en recul un peu partout. Donc une question qui doit empêcher beaucoup de dormir: comment allons nous attirer des devises étrangères cette année? C’est une question que la France n’a pas à se poser, contrairement à nous.

Un nouveau code des changes, permettant aux tunisiens de détenir de la devise, pourrait être la solution, si l’état sait installer cela rapidement.

5/ Est-ce que le gouvernement et/ou les gouvernants tunisiens plus généralement ont la possibilité de faire face à cette crise ?

En général, la Tunisie ne se réforme que quand elle est dos au mur. C’est le cas actuellement, le wishful thinking peut raisonnablement nous faire espérer qu’enfin les bonnes décisions seront prises, car beaucoup d’entre elles sont prêtes, étudiées, et dorment dans les tiroirs, aussi bien des ministères que du parlement. Il suffirait d’oser et de les activer.

Les gouvernants ont également de la marge: ils avaient prévu dans le budget de l’état 2020, que le pétrole serait à 65$, nous sommes en mars et il est à moins de 30$. L’état va donc économiser beaucoup sur ce poste, presque l’équivalent de 7% de son budget.

Un petit intermède s'impose: imaginons que vous preniez une bouteille de Jack Daniel's. Vous pensiez qu'elle était à 150dt mais votre revendeur a des concurrents aux trousses. Résultat: il est obligé de revoir ses prix pour ne pas perdre ses clients et vous la laisse à 100dt. Et voilà, vous avez réussi à économiquer 50dt grâce au malheur des autres et à profiter d'une bonne cuite. Bravo

Notre taux directeur, souvenez-vous, c'est ce fameux taux d'intérêt qui fluctue au jour le jour. Il indique le coût de l’argent que détermine la BCT (Banque Centrale). Ce dernier vient d’être réduit de 1%, et peut davantage être réduit: cela fait que les intérêts sur votre voiture, appart, crédits conso, baisseront, ça vous laissera donc davantage d’argent pour consommer, épargner, ou atténuer vos pertes, ce qui en soit vous rapproche d’un cercle vertueux.

"Mais l’état, ou tout simplement le peuple, ne pourront pas faire l’économie d’un vrai débat, sur le contrat social qu’ils souhaitent pour les générations futures."

L’état a également sa capacité de négociation avec les bailleurs de fonds étrangers, qui tous, de la BERD à la banque mondiale, ont instauré des lignes de financement spéciales et importantes pour soutenir les pays dans leur gestion des volets sanitaires et économiques de la crise. Les moyens à court terme existent.

Mais l’état, ou tout simplement le peuple, ne pourront pas faire l’économie d’un vrai débat, sur le contrat social qu’ils souhaitent pour les générations futures. Cette crise révèle l’énorme solidarité des tunisiens, dans toutes leurs composantes, mais révèle aussi que nous sommes un pays qui n’a que 300 lits de réanimation. Nous perdons de l’argent à produire du tabac et à le distribuer, au dépend de la Santé publique. Cette crise est aussi le révélateur d’un état qui s’est trop dispersé, perdant de l’argent là ou d’autres sauraient en faire gagner, et perdant de l’engagement sur ce qui constitue le socle d’un modèle d’égalité des chances: la santé, l’éducation, le transport, l’urbanisme.

6/ Que faire aujourdh'ui pour sauver ce qui peut être sauvé ?

D’abord rester chez soi. Ça sauve des vies, ça permet aussi de faire le vide, pourquoi pas sa propre introspection, se reconnecter à l’essentiel. Si on est pas geek, nourrir ce côté là aussi, car c’est pas seulement l’avenir, c’est le présent, pourquoi pas télécharger les applis qui peuvent changer nos habitudes dans le sens dans lequel nous souhaitons orienté notre destin?

Pour toutes les mesures économiques, elles sont connues, font le consensus des économistes vu la situation donnée. Il s’agit de tout faire pour qu’il y ait 0 licenciement, compenser la perte de revenus des TPE (Très petites entreprises) et petits métiers, attirer des réserves de changes et des dépôts pour substituer le manque à gagner venant de la baisse attendue du tourisme, des transferts des TRE (Tunisiens résidents à l'étranger), de l’export et des IDE (investissements directs à l'étranger). Pour cela, il va falloir actionner des lois, donner de l’air à la trésorerie des entreprises pour qu’elles la focalisent sur le paiement des salariés. Activer l’identifiant social unique, permettait de faire des transferts directs vers les couches les plus vulnérables.

7/ Y a t'il des recommandations très simples et faciles a mettre en place ?

Ce qui est nécessaire devient simple et facile à mettre en place des que nous sommes au pied du mur: les mesures précédentes sont nécessaires. Ce qui est simple et facile pour nous, c’est le confinement et le 1818 :)

Alors, tous en quarantaine et surtout, on ne panique pas mais on relativise. On sait que c'est cette situation est pénible mais on garde espoir.

Hoa with love