Si l'ascenseur social existe, Mohamed Amine Sdiri pourrait bien l'incarner. Petit, il vendait du charbon pour aider sa famille. A 33 ans, il est conseiller du ministre du développement, de l'investissement et de la Coopération internationale. Un poste qu'il s'apprête à quitter – nouveau gouvernement oblige - pour rejoindre le privé. Il n'abandonnera pas la politique pour autant. Mohamed Amine Sdiri fonctionne par cycle. Et il est en train d'en achever un.
L'engagement avant tout
Né en 1986 à Borj Cedria, Mohamed Amine Sdiri a grandi dans la pauvreté. Son père ouvrier et militant Ennahdha – ce qui lui a valu une année de prison - peine à trouver du travail. Sa mère doit travailler de nuit dans les usines. Alors Mohamed-Amine, enfant, il aide son père à construire une mardouma pour fabriquer du charbon qu'il vend dans son quartier. Cela ne l'empêche pas d'être premier de sa classe.
Après le bac, il intègre une école préparatoire avant de rejoindre l'Ecole nationale d'ingénieurs de Tunis, dont il est diplômé en
2011. Il commence à travailler dans un bureau d'études puis obtient une bourse pour étudier le management relations internationale à Sciences po Paris. « Je ne connaissais pas le prestige de Sciences-po. Je voulais simplement une formation transversale après mon diplôme très technique de l'ENIT. » Mohamed Amine Sdiri restera quatre ans de plus en France où il travaille comme consultant sur des projets concernant le TGV dans le sud puis le métro parisien.
Conservateur militant
« Je suis résolument pour la séparation des sphères religieuse et politique, pour la « tunisification » du parti »
Parallèlement, celui qui se dit résolument « conservateur » développe sa fibre militante. Avant la révolution, il s'était engagé dans les actions sociales d'Ennahdha sans être membre du parti. Il était également actif dans la société civile, comme l'IAESTE (International Association for the Exchange of Students for technical Experience). C'est après la révolution qu'on l'incite à rejoindre Ennahdha. « Je n'attendais que ça », explique celui qui avait gravité toute sa jeunesse dans la sphère du parti à la colombe. Il tente de convaincre de l'utilité des réseaux sociaux et crée le compte Twitter du parti qu'il gère comme il l'entend pendant un an... jusqu'à ce que la direction comprenne l'importance de ce moyen de communication.
Fin 2013, il écrit quelques pages sur l'intérêt de créer une université d'été pour former les jeunes du parti. Il envoie sa proposition à quelques cadres. Zied Ladhari est le plus réactif. C'est le début de leur amitié : « Nous partageons la même vision du parti ». Et en l'occurrence, tout deux semblent en plein doute.
Zied Ladhari a quitté ses fonctions au sein du parti fin novembre. Mohamed Amine Sdiri, lui, s'interroge : « Je suis résolument pour la séparation des sphères religieuse et politique, pour la « tunisification » du parti. C'est normal pour moi mais pas pour les militants d'Ennahdha qui sont parfois déconnectés de la société. Ils ont vécu en exil ou en prison, il y a une barrière culturelle. »
En 2017, le ministre lui propose, pour la troisième fois, de rejoindre son cabinet. Cette fois, Mohamed Amine Sdiri accepte. « Je venais de lire l'autobiographie de Si Mansour Moalla, le cofondateur de la BIAT qui a réveillé en moi l'idée de l'impact qu'on peut avoir en travaillant dans le public ». Marié depuis le 7 novembre 2015 - « c'était une façon de transformer cette date emblématique en une date de joie »-, Mohamed peut ainsi s'installer avec sa femme et mettre fin à leur relation à distance.
A l'heure du bilan, celui qui s'apprête à être papa reconnaît : « C'est le travail le plus intéressant que j'ai jamais eu. » Il veut pourtant retourner dans le privé. Pour quelques années : « il faut gérer sa vie en forme de cycles. Je ne veux pas m'enfoncer dans quelque chose sans pouvoir en sortir. » Mais Mohamed Amine Sdiri reviendra dans le monde politique à n'en pas douter.
Maryline Dumas
